La Grande Porte (Gateway), Frederik Pohl, 1977.

 

Le titre suggère une ouverture, mieux, l’accès à un monde supérieur. En fait, ce roman nous invite à entrer dans l’impénétrable, dans cet inconnu frustrant, où l’on ne saura jamais rien, l’on ne comprendra jamais quoi que ce soit, et, cerise sur le gâteau, où l’on s’exposera toujours aux pires dangers.

La Grande Porte est un lieu-dit désignant un astéroïde astroport qui peut déverrouiller une voie hasardeuse vers une étoile aléatoire, et, parfois pire, vers la fatalité.

En effet, les Terriens sont les héritiers des mystérieux Heechees, une civilisation disparue depuis des milliers d’années, dont on ignore tout, ne laissant derrière elle que des reliques hermétiques, des artefacts incompréhensibles et des vaisseaux spatiaux semblables à des champignons, capables de dépasser la vitesse de la lumière. Le hic, c’est qu’ils sont dépourvus de modes d’emploi.

Notre astéroïde rassemble des aventuriers venus de tous les horizons, si bien que quand certains se rassemblent au bar « L’Enfer Bleu », ils ne comprennent pas tous ce qu’ils se disent. Pour ne rien arranger, le « héros » qui affronte cet environnement cosmopolite d’incertitudes, mal saisissable, est un homme indécis, pas des plus courageux, qui se fuit lui-même, surtout lors de ses séances de thérapie. Du reste, le psy robot fait preuve d’une remarquable patience artificielle face aux agressions verbales chroniques de son patient apeuré par ce qu’il pourrait révéler.

En amour, Robinette peine à s’engager. Dans sa vie professionnelle, il est un prospecteur qui passe son temps à éviter les missions. Non sans raison : n’est-il pas revenu bredouille, amoché, d’un périple où les explorateurs téméraires étaient condamnés à rester passifs dans cet habitacle alien où tout leur échappait ?

Ainsi, Robinette traîne et se traîne. Il ne sait pas trop qui il est, sauf qu’il a peur, se sent coupable ; il ne sait pas trop ce qu’il désire, ce qu’il veut. Il se contente de tergiverser, tournant le dos à l’obscur qui l’attend. Pourtant, il est bien conscient de son seul rêve : échapper à la misère générale des Terriens, devenir riche pour vivre dans le luxe, entouré de belles femmes, protégé par une couverture médicale tous azimuts. Une telle aspiration n’est pas infondée. Les prospecteurs chanceux de revenir vivants de leur destination douteuse avec des biens heechees se voient grassement récompensés.

Au fond, dans ce récit, on compte deux Grandes Portes : la première vous donne accès, via des vaisseaux aliens incontrôlables, à des mondes imprévisibles, la seconde tarde toujours à être actionnée, car elle vous mène aux tréfonds de votre propre identité.

Seul rescapé d’un périple, Robinette réalisera son rêve. Hélas, vivre dans le confort, l’opulence et la luxure ne guérira pas son âme, ni ne comblera cette lacune majeure : son incapacité crasse à entrer au plus profond de lui-même et à vaincre sa culpabilité (pour avoir survécu à sa dernière mission en ayant sacrifié tout son équipage).

Indécision, peur, honte, égoïsme, ignorance, incompréhension le hanteront donc à perpétuité. Cependant, contre toute attente, à la question : « appelles-tu cela vivre ? » son psy robot lui répond qu’il l’envie beaucoup.

 

 

 

La Grande Porte - Frederik POHL - Fiche livre - Critiques - Adaptations -  nooSFere

 

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