Mary Shelley: Le Dernier homme
Je me suis plongé dans une œuvre peu connue de Mary Shelley,
(celle-là même qui a créé en 1818 le monstre de Frankenstein). Cinq ans plus
tard, en 1823, à 26 ans, elle nous entraîne à travers une longue saga
romantique (660 pages) jusqu’au bout du genre
« post-apocalypse » : Le
Dernier homme.
Le récit d’anticipation commence en 2073 pour s’achever en
2100 « dernière année du monde ».
N’attendez pas ici de grandes transformations techniques sur
la Terre. Tout au plus est-il question d’aérostats (des ballons volant à 800 m.
d’altitude) et de bateaux à vapeur, attestant « le pouvoir de l’homme sur
les éléments ». Ainsi frôle-t-elle le genre SF, tel que je l’ai défini :
Présupposant le « progrès » de la
science et des techniques, la SF met en scène la réalisation d’un grand rêve ou
d’un grand cauchemar, sous la forme d’un phénomène impossible jusqu’à preuve du
contraire. Plus précisément, il s’agit d’une SF visionnaire
(impliquant une certaine vision ambiguë de la Nature, voir mon blog http://explorerfuturs.blogspot.ch/search?q=SF
ou celui de Gapdy http://jcgapdy.blogspot.ch/search?q=yessouroun)
En effet, dans ce récit pathétique, la Nature est tantôt un
paradis (la vue de Genève depuis le Jura !), tantôt un enfer (la tempête
qui noie les derniers compagnons survivants du héros ou son errance solitaire
dans les jardins redevenus sauvages de Rome).
On peut distinguer deux parties dans ce roman
« désastrophile ».
La première est un long préambule qui met en scène les
amours et les conflits de pouvoir vécus par les principaux personnages.
L’Empire britannique n’est plus un royaume, mais une
république libre, prospère et heureuse ! La Chambre élit régulièrement un
« Lord protecteur », sorte de président. Deux ombres à ce tableau
idyllique : la nostalgie de la monarchie du parti royaliste et une guerre
lointaine entre les alliés Grecs et les Turcs, guerre incarnant la lutte que se
livrent « la civilisation et la barbarie » (p. 225). On se débarrasse
assez facilement des royalistes, mais avec les Turcs, c’est plus difficile. Comment
« chasser d’Europe une puissance
qui, alors que toutes les nations progressaient dans la voie de la
civilisation, demeurait immuable » (p. 257) ?
Les Ottomans vont résister avec acharnement, mais ne pourront
éviter la défaite, ce qui incitera les champions de la chrétienté à reconquérir
Constantinople (l’Istanboul actuelle). En fait, la ville turque est déjà tombée
avant son siège : elle a été ravagée par la peste. Le fléau avait frappé l’Égypte et s’était répandu jusqu’en
Asie. Ainsi la reprise de l’ancienne capitale de l’Empire byzantin, l’ancien
Empire romain d’Orient maudit l’humanité.
La seconde partie décrit la progression de la maladie, qui
va déferler sur la Terre entière. Les malheurs s’enchaînent : en Europe de
l’Ouest et notamment sur « l’île perdue au milieu des nuages »
(l’Angleterre), aux villes et campagnes décimées, les immigrés venant
d’Amérique, alliés aux Irlandais, se transforment en pilleurs sauvages.
Plus personne ne lit, chacun est obsédé, traqué par la peste
qui circule partout sans le moindre frein. Cependant, une nouvelle calamité
menace les survivants de plus en plus rares : un « prophète »
rassemble sous sa bannière divine quelques centaines de fidèles fanatiques
persuadés que le Créateurs les a élus pour échapper à la contagion implacable,
jusqu’à ce que des pestiférés apparaissent dans les rangs de ces intégristes et
conduise leur chef au suicide.
Enfin, après la mort de sa femme, de sa sœur, de ses enfants
et de ses plus proches amis, c’est dans la Ville éternelle que le dernier homme
écrit ses mémoires pour un éventuel lecteur miraculé…
Bref, on le comprend, difficile de trouver vision plus
sombre, plus pessimiste, même si, je n’en doute pas, des romans contemporains
excellent eux aussi dans la mise en scène du total désespoir.

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