Hao Jingfang: L'insonsable Profondeur de la solitude
Hao Jingfang, L’insondable Profondeur
de la Solitude, Outrefleuve, mai 2018, 12 nouvelles, 365 pages
Du Nord-est de la Chine, physicienne et économiste, bientôt
34 ans, Hao Jingfang, s’est depuis longtemps tournée vers la science-fiction.
Ce genre semble ambivalent à ses yeux : il lui donne le sentiment d’être
hors du monde, donc dans une profonde solitude, mais, en même temps, il s’avère
le plus libre des genres. Tiens, le thème de la liberté vanté par une
nouvelliste chinoise… !
Justement, quand je lis un auteur de la Chine contemporaine,
il m’est difficile de faire abstraction du contexte politique autour du livre. Il
est à noter que dans le cas de Hao Jingfang, ses textes sont datés des années
2010 – 2016, années qui précèdent le serrage de vis du pouvoir central.
Et, en effet, avec elle, on entre dans un imaginaire des plus
exotiques, emprunt de culture asiatique (certains textes évoquent le monde
merveilleux de l’une ou l’autre des Nouvelles orientales de Yourcenar).
L’ordre de l’environnement y est imposé, décidé ailleurs, par
une élite. La ville a ses rouages implacables. Pékin articule trois cités qui,
tour à tour se plient tel un origami. Lorsque l’une des trois agglomérations
plonge dans les entrailles de la terre, ses habitants sont gazés pour s’endormir.
Le citoyen est cantonné dans son secteur et confiné dans son travail.
Les héros de ces récits sont des personnages qui ont peu de
pouvoir mais beaucoup d’ambition (pour eux-mêmes ou pour les autres). Dans ce
monde, choisir d’être soi-même, de défendre son identité demande du courage.
Tout comme assurer un bel avenir artistique à son enfant, entre autres.
Les nouvelles sont marquées d’une forte dimension
philosophique. Tantôt, l’on s’interroge sur l’identité humaine, sur le sens de
l’existence dans un monde où votre destin vous échappe, où, par exemple, le
génie peut être poursuivi pour être éliminé par le pouvoir central.
On peut aussi se demander ce qu’il en est de l’ambition de
l’artiste, quand il doit choisir entre assurer sa carrière prometteuse et
sauver (grâce à la musique) l’humanité des extraterrestres ? Va-t-il se
sacrifier ou se soumettre, renoncer à toute contestation, certes perdre un peu
de liberté, mais être heureux ?
L’un des récits aborde même le sens de la vie individuelle.
Ne dépasse-t-il pas la condition du mortel ? Une forme d’éternité serait
garantie par la réincarnation (propre à la mythologie bouddhiste chinoise).
Plus généralement, quelle est la place de l’humanité dans le
cosmos ? Doit-elle s’affirmer devant les extraterrestres comme un modèle
de sagesse ? Quel serait ce modèle ? La connaissance orientée dans
les deux sens, l’une tournée vers le monde extérieur, l’autre vers le monde
intérieur ? Malheur dans ce cas aux aliens qui ne se pencheraient que sur
l’étude de l’univers et des voyages intersidéraux.
Mais, au fond, pourquoi rechercher la connaissance ?
Comment se comprendre soi-même ? Par quel type de savoir ? Et la
famille, la venue d’un enfant ne gâchent-elles cette quête ? Ainsi, l’une
des nouvelles met en scène, chez un nouveau père mathématicien, l’obsession de
perdre son don, de n’être plus qu’un être banal, donc de dégringoler du podium
de l’élite.
Reste la question du pouvoir. Du « pouvoir
impérial », la source de solitude, par excellence. Mais aussi le pouvoir
des députés. Un astéroïde riche en eau s’avère indispensable pour étendre la
vie sur Mars. Aussi, sans état d’âme, par une décision froide, tranchante, les
élus décident l’expulsion de la collectivité chaleureuse qui habite
l’astéroïde. Les sentiments n’ont pas de place dans l’histoire humaine.
Ces textes sont fluides, faciles et agréables à lire,
sensibles. Dans l’ensemble le résultat de la traduction est satisfaisant. Ce
monde imaginaire mérite le détour.
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