Le robot qui m'aimait


Le robot qui m’aimait, pièce de théâtre jouée à Genève le 17 janvier 2019

Nous sommes en 2030. Et si votre androïde ou votre gynoïde vous mettait « hors service » pour cause, à ses yeux, d’obsolescence ?
Autrement dit, imaginons que votre automate préféré vous tue parce que vous ne lui apprenez plus rien, que, à l’évidence, vous dégénérez bogues après bogues.
En réalité, vous avez été frappé par un ennui existentiel radical, du fait que vous aviez tout, vous aviez atteint la complétude grâce à la présence de votre robot féminin, une gynoïde nommée Priscilla.
Cet acte radical, ce « meurtre » doit être jugé dans les formes par un tribunal. Défenseur de l’accusée, Maître Bonnant plaide l’invalidité du procès. En effet, des humains peuvent-ils juger un automate, une intelligence artificielle, qui n’a ni conscience, ni volonté ? L’éthique exige qu’on juge seulement ses pairs. Maître Capt, qui représente les parents de la victime, insiste, au nom de l’humanité, sur un point crucial : ne pas tolérer un acte qui élimine l’être humain. La gynoïde doit être détruite, ainsi que ses semblables.
Mais l’affaire se complique. En quoi Priscilla, la « meurtrière », est-elle responsable de cet acte fatal ? N’aurait-elle pas été hackée par une puissance malveillante ? Ou télécommandée par ses semblables, les milliers de modèles de sa série ? N’aurait-elle pas été influencée par les tendances sadomasochistes de son maître ? À moins qu’elle ait appris des comportements pervers à force de regarder la télévision ou à force de fréquenter les réseaux sociaux ?
Un défilé d’experts tente d’éclairer le jury. Un spécialiste de l’IA affirme que les robots sont dépourvus de conscience et qu’ils excellent uniquement dans des activités précises, pour lesquelles ils ont été programmés. Une experte en cybersécurité s’interroge sur le libre-arbitre de la « meurtrière » et sur les piratages éventuels qui l’auraient détournée de son droit chemin. Un psychiatre reconnaît qu’on ne sait presque rien sur le fonctionnement du cerveau et encore moins sur la conscience. Il ajoute que le narcissisme probable de la victime l’a conduite à être insatisfaite de la réalité, des femmes réelles, donc l’a poussée à se procurer la femme idéale, sous la forme de Priscilla, une machine… Ce qui pose la question capitale : qu’est-ce que l’objet d’amour ?
Au fond, que ressort-il de ce récit ? Une prédiction plutôt inquiétante : l’être humain tôt ou tard serait anéanti par son amour-propre excessif, qui le plombe dans sa quête de la perfection.
Deux caractéristiques formelles dans ce spectacle : premièrement, le jury est l’ensemble des spectateurs qui devra délibérer sur la culpabilité de Priscilla. Deuxièmement, les acteurs sur scène jouent tous leur propre rôle professionnel (avocats, présidente du tribunal, experts). Deux exceptions : le procureur est un robot qui habite un haut-parleur ; Priscilla, la gynoïde, est jouée par une éminente juriste.
J’ai trouvé plutôt captivante cette association entre des spécialistes scientifiques et le monde juridique. Ensemble, ils se préoccupent de l’avenir de l’être humain entouré d’êtres artificiels plus performants que lui-même.

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