Les gueules des vers, J-C Gapdy
Les
gueules des vers, Jean-Christophe Gapdy, Rivière
blanche, 2018
Le livre plié, je n’en
reviens pas. A moins que… suis-je encore le seul moi ? D’autres « nous »
n’auraient-ils pas sournoisement giclés vers des exemplaires de balises
incertaines ?
Il y a, à peu près cinq
ans, après sa lecture de mon roman Rêver
sur son volcan…, Gapdy, un brin perplexe, m’avait avoué qu’il n’était pas
un adepte des voyages dans le temps. Je ne crois pas que mon livre l’ait
converti, mais toujours est-il qu’il a dû se passer quelque chose que je ne
comprends pas. Est-ce bien le même Gapdy ? Un phénomène mystérieux ne l’aurait-il
pas dupliqué ?
De page en page, on
gigote dans La gueule des vers,
secoué comme une boule de flipper temporel ou plutôt comme lors de la traversée
d’une tempête épileptique dans les cellules gliales.
Avec le recul (si, si,
c’est possible), on peut isoler deux pôles, plutôt féminins, dans ce récit.
Le premier, un pôle
« naturel », une matrice cosmique en gestation qui non seulement tend
à reproduire les téméraires aventuriers qui ont l’inconscience de l’explorer,
mais encore les décale vers des horizons aux dates aléatoires.
Le second, un pôle
artificiel, une Intelligence créée par l’être humain, une IA qui absorbe tout,
comprend de plus en plus presque tout et qui s’intériorise dans le corps et la
conscience d’une charmante rescapée de l’espace.
Les personnages sont
d’emblée attachants, la plupart se caractérisent par l’opiniâtreté. Plus
précisément par une voracité de connaître ; ainsi, le personnage principal,
Dick, ventousé à la gueule ainsi qu’à sa quête de son ami perdu, Jens, quête
motivée par les remords tenaces ; Sange, un colonel du service spatial des
renseignements, qui ne voudra jamais démordre de son enquête ; Yessica,
mi-femme, mi-artefact, une superwoman, et son double, Yessi, laquelle refuse de
renoncer à aborder un vaisseau périlleux, mais lié à celui qu’elle aime, tout
en se fichant du danger mortel de son entêtement ; Michaël, le génie qui,
à force de calculs, perce les secrets des vers…
Paradoxalement, une
question que peut poser ce livre, c’est : dans quel genre au juste se
situe le roman ? Serait-ce de la « hard » SF ou de la
« magical » SF ? Pour sûr, nous y avons affaire à de
l’anticipation ; pendant la lecture, nous sommes ballottés vers des
avenirs à gogo. Une citation de l’auteur (via un personnage) peut peut-être
nous aider à trancher. Il s’agit d’une évaluation de Colorado, l’IA d’un
vaisseau spatial (un peu la face positive de HAL, dans 2001, l’Odyssée de l’espace) : « l’influence de Colorado
était si éloignée de toute science qu’elle prenait des allures de magie. Ou de
sorcellerie. » (p. 297)
Ainsi, entre un monstre
qui s’acharne à tout copier et une étrange conscience incorporable qui
s’obstine à tout saisir (oui, tout !), nous chavirons de vertige.
On peut dire que ça a
de la gueule…
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