Vestiges de Laurence Suhner


Un roman avec un double titre : Vestiges et QuanTika.

Le pluriel de Vestiges s’explique : une civilisation alien a laissé derrière elle deux reliques de son existence : une arche géante, satellite artificiel inviolable, ainsi qu’un temple à portes multiples, enterré sous des kilomètres de glace.
QuanTika est aussi un terme double. D’abord avec ses deux majuscules. Ensuite, d’un point de vue sémantique, l’expression réfère à la physique « quantique » et ses principes d’indétermination existentielle. Enfin, QuanTika connote le domaine religieux : au-delà du cantique, chant liturgique, il évoque un monde antique, exotique et sacré (par exemple, Kon-Tiki, expédition dont le nom renvoie à la mythologie incas, voire pré-incas). On le voit, ce second titre fait fusionner Science et Foi mystique.

Le décor et ses relations avec les personnages

Dans 300 ans. L’exoplanète a été colonisée, bien que sous permafrost. La Nature y est hostile : tout le globe est glaciaire où rodent de dangereuses « fouineuses », animaux sauvages dont le nom suggère la recherche...
On observe cinq modes d’appropriation de ce monde impitoyable :
-          La compagnie qui convoite les richesses géologiques de son sous-sol (pétrole, gaz).
-          La fraction rebelle des habitants, les indépendantistes, lesquels considère ce monde comme leur maison, un lieu digne de respect, donc à préserver à tout prix.
-          La civilisation disparue des Bâtisseurs qui a transformé ce monde en un témoin efficient de leur passage dans l’univers.
-          La science qui veut percer les mystères enfouis dans les entrailles de la planète, lesquels secrets font écho à un vaisseau fantôme géant, impénétrable, gravitant autour de la planète.
-          La milice qui ne jure que par la loi martiale pour s’emparer d’un supposé trésor qui gonflera leur puissance militaire.

Les spécificités du roman

Qu’y trouve-t-on nulle part ailleurs ? Je retiendrais cinq caractéristiques dans Vestiges :
-          L’action douloureuse. Quand un personnage mène sa quête, il la vit charnellement. Il incorpore le supplice de sa progression. Il souffre de ses mouvements. Sa respiration, ses palpitations, sa peau, ses muscles sont meurtris. Des sensations pénibles perturbent son avance. La réalité semble sévir contre qui ose vouloir changer l’état des choses. La résistance du monde à la présence des protagonistes pénètre sans pitié dans le corps de l’héroïne ou du héros. L’action douloureuse culmine lors d’un rite de passage d’une jeune rebelle et de la cérémonie d’initiation d’un alien. Cette description du calvaire pendant l’effort contribue au suspens et renforce l’intensité du thriller.
-          La place cruciale de l’anomalie. Il existe sur cette exoplanète une poche invisible, singulière, où règne l’indétermination quantique susceptible de rendre la matière incohérente, de fausser le temps, de dédoubler ou de désagréger l’inconscient qui transgresserait cet espace hors-les-lois.
-          La connaissance défendue. Forme géante d’anomalie, « diamant noir », une arche de dimension diluvienne, satellite artificiel antique, semble symboliser l’inconnaissable menaçant. Chacun sur cette planète semble avoir fait le deuil des secrets que recèle ce vaisseau hermétique, inabordable, interdisant tout savoir à son sujet.
-          La télépathie possessive. Comment le prénom d’un inconnu peut-il être formulé par un étranger (d’un autre monde, qui plus est) qui n’est qu’en contact mental à distance avec lui ? Comment des souvenirs peuvent-ils être dérobés chez une personne avec laquelle un pirate communique par l’esprit ? Dans ce récit, la télépathie entre extraterrestre et humain joue un rôle particulier. Vous êtes possédé par votre correspondant, vous êtes aliéné par l’alien. À moins que ce dernier vous restitue votre identité perdue…
-          La source hésitante de la poésie. Le fantastique, dit-on, fait douter le lecteur sur la cause du phénomène décrit : obtiendra-t-il une explication rationnelle ou une révélation surnaturelle ? Dans ce livre, on s’interroge sur la compatibilité entre le rêve et l’explication scientifique, sur la cohabitation de la poésie avec le savoir rationnel. Le récit haletant est ponctué tantôt par l’éclairage de la science, éclairage inquiet de vraisemblance et de sidération, tantôt par l’onirisme mystique qui s’enracine dans un lointain passé, donnant un effet d’authenticité primitive, ancré dans la cosmogonie alien et l’initiation la plus cruelle. Et comment ne pas plaindre les archéologues imprudents qui espèrent comprendre cette civilisation extraterrestre en fouillant des vestiges capables d’ensorceler les chercheurs grâce à des textes gravés dans la pierre ? Ou alors, qui sait, les ancêtres aliens ont laissé derrière eux une machinerie cachée, secrète, qui a le pouvoir de modifier le destin des savants téméraires ?


Le premier tome de QuanTika, Vestiges, est poignant, bien écrit (une belle plume, vraiment !) et donne à méditer sur la science-fiction nappée de mysticisme. À lire sans modération.





QuanTika, tome 1 : Vestiges par Suhner

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