Kerozene, Adeline Dieudonné, L’iconoclaste, 2021
Sans accent, le titre laisse perplexe, vu le cadre terrestre d’une station d’essence. Il faut beaucoup forcer pour oublier que ce carburant (avec accents) fait voler les avions.
Et puis, il y a pourtant zen dans kerozene… Or, disons-le d’emblée, cette suite de récits « croisés » est tout sauf zen. Adeline Dieudonné nous y impose le dogme narratif anglo-saxon. Dans une histoire, il faut du drame, une tension ravageuse, un antagonisme tyrannique. Elle y ajoute un zeste d’abject, à la manière chérie par Michel Houellebecq.
Sa vision de notre pauvre société semble bornée par les œillères du malheur. L’un des personnages résume à lui seul cette optique sombre :
« Est-ce qu’il existerait encore des gens heureux dans dix ans ? »
On est plongé dans l’ère covid, dans un océan de loosers et de racailles. Le lecteur se fait battre par la massue narrative.
En vrac, défilent viol bestial (au sens « propre »), meurtre par déception conjugale, abus de la docilité d’une nounou du tiers-monde par une famille blanche, folie suicidaire d’un traumatisé, manipulation d’un dragueur simplet, sans envergure, par une chasseresse aux beaux biceps, trouble d’un homo face à un boucher entre deux joints qui caresse d’un couteau sa truie domestique, urètre enflammé d’un gynécologue, mal de jouissance de son épouse soumise à la routine du devoir de couple, alcoolisme d’une châtelaine qui asservit une épave, récit à une étrangère qui ne comprend pas la langue par la rescapée d’un massacre terroriste aveugle, sans revendication…
Et puis, comme par antispécisme, l’un des personnages est un cheval :
« Si l’on compte le cheval (…), 14 personnes sont présentes. »
L’animal fait partie des privilégiés qui se racontent en disant « je ». Et dans son histoire chevaline, il a sur la conscience deux morts, dont un en bouillie…
Bref, c’est la cour des miracles, cette station d’essence, ce lieu de passage qui lie la sauce. Une station dans laquelle l’une des femmes ne cesse de vomir. Et nous, lecteurs, ce n’est pas l’envie qui nous manque.
Écrit d’une plume acérée, ou plutôt d’une griffe sanguinolente, le livre emporte, mais c’est un peu le spectacle d’un accident qui attire l’instinct morbide du passant.
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